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Cafés pour chiens, une vraie bonne idée?

Les cafés pour chiens fleurissent un peu partout, et font un véritable boom en Belgique. Le concept est séduisant : partager un moment convivial avec son compagnon à quatre pattes, rencontrer d’autres maîtres, distraire son chien, laisser les chiens interagir entre eux pendant que les humains dégustent un café ou un gâteau, proposer des adoptions, des promenades, ou engager du personnel en situation de handicap. Sur le papier, tout semble idéal. Pourtant, mon expérience de comportementaliste canin m’a poussée à dire : plus jamais.

Voici pourquoi.

L’idée est attrayante … en théorie

Qui n’aurait pas envie de passer du temps dans un endroit où les chiens sont non seulement tolérés mais véritablement invités ? Ces lieux surfent sur une tendance grandissante : offrir aux chiens une place centrale dans nos vies sociales. On s’imagine des rencontres joyeuses, des chiens heureux de pouvoir jouer ensemble, et des humains fiers de montrer leur compagnon.

Mais la réalité que j’ai observée sur le terrain est bien différente.

La première chose qui m’a frappée dans les cafés pour chiens, c’est l’exiguïté des lieux. Contrairement à un parc ou à un bois, l’espace est fermé, limité, souvent bondé. Les chiens n’ont pas la possibilité de choisir leur distance par rapport aux autres.

Or, la distance est un outil essentiel pour le chien. Quand il se sent mal à l’aise, le chien s’éloigne, se fige ou se bat. Ce sont des mécanismes incontrôlables de défense (aussi présents chez l’être humain, par ailleurs).
Dans un café, ces automatismes sont biaisés: les tables, les chaises, les murs réduisent ses possibilités. Résultat : un chien qui aurait simplement préféré éviter un contact peut se retrouver coincé, ce qui augmente le risque de conflit.

Le faux jeu : quand l’humain se trompe

Beaucoup de clients de ces cafés observent les interactions canines et concluent : « Regarde comme ils jouent ! ». Mais ce que je vois en tant que professionnelle, c’est tout autre chose.

Oui, certains chiens jouent réellement. Mais beaucoup envoient des signaux très clairs de malaise ou de demande d’arrêt de l’interaction; ils:

      • Détournent la tête

      • Lèchent leurs babines de manière répétitive

      • Salivent excessivement ou au contraire, figent leur tête ou leur corps

      • Ont les oreilles plaquées, la queue entre les pattes

      • Montrent les crocs

      • Mordent dans le vide près du visage du chien

      • Tentent de s’échapper

      • Retournent chez leur maître pour chercher de la sécurité

    Tous ces signaux font partie du langage canin. Ils veulent dire : « Stop, ça suffit, je n’aime pas cette interaction ». Malheureusement, la plupart des gens ne les voient pas, ou pire, les interprètent comme de la taquinerie et de la socialisation. Or, lors de ma dernière visite, j’ai vu un teckel en détresse émotionnelle face à un chien trop insistant. Il montrait la totalité des signaux repris ci-dessous. Mais aussi, il coursait le chien insistant lorsqu’aucune échappatoire ne s’offrait à lui. Et les propriétaires de dire: c’est fou, il lui court après, il en redemande, il joue! Faux, un chien qui course un autre chien, dans des circonstances telles que décrites ici, veut le faire fuir. 

    Lorsque ces signaux ne sont pas respectés, il y a escalade: le chien n’a plus d’autre choix que de réagir plus fort : grogner, pincer, voire mordre. Et bien sûr, dans ces cas-là, on accuse le chien d’être agressif, alors qu’il a simplement été ignoré trop longtemps.

    Les contacts forcés

    J’ai aussi observé des propriétaires qui, pensant bien faire, forçaient leur chien au contact. Ils poussent leur chien vers un autre, encouragent les interactions même quand leur compagnon tremble, se cache sous une chaise ou supplie du regard qu’on le laisse tranquille.

    Un chien anxieux, qui n’a pas d’échappatoire, vit une véritable détresse émotionnelle. À long terme, ce type de situation peut grièvement nuire à sa confiance et à sa socialisation, au vu des associations négatives que ce type de contact avec des congénères peut provoquer ou accroître.

    Mon expérience avec Simone

    Je vais prendre un exemple personnel. Ma chienne Simone est très sociable, équilibrée, habituée à rencontrer d’autres chiens. Elle adore généralement les interactions. Mais lors de notre dernière visite dans un café pour chiens, elle a été poursuivie par un grand chiot insistant.

    Normalement, Simone sait parfaitement gérer ce type de situation. Elle esquive, détourne, change d’activité. Mais là, impossible : pas d’espace pour s’éloigner, pas de repli possible face à une brute qui n’a pas compris le langage canin. Elle était coincée.

    J’ai vu son langage corporel changer : crispation, signaux d’apaisement, tentatives de fuite bloquées, et recherche d’un endroit où se cacher. Elle n’était plus bien. Alors j’ai pris la seule décision qui s’imposait : nous sommes parties.

    Et ce jour-là, j’ai compris que ces lieux ne sont pas faits pour des rencontres canines saines.

    Pourquoi l’espace et la liberté sont essentiels

    Le chien est un animal social, mais la socialisation ne veut pas dire aimer tous les chiens, tout le temps, dans toutes les conditions. Nous-mêmes, humains, apprécions la compagnie, mais avons aussi besoin de choix : dire non, prendre nos distances, choisir nos interlocuteurs.

    Les chiens fonctionnent de la même manière. Leur bien-être dépend de leur liberté de dire « non ». Or, dans un café pour chiens, cette liberté disparaît.

    L’absence de supervision professionnelle

    À mon sens, le plus gros manque de ces cafés est l’absence systématique de professionnels formés au comportement canin.

    Un éducateur canin positif, ou un comportementaliste moderne, saurait repérer les signaux d’alerte et intervenir pour stopper une interaction avant qu’elle ne dégénère. Il saurait aussi sensibiliser les propriétaires aux subtilités du langage canin.

    Mais dans la plupart de ces cafés, il n’y a personne pour jouer ce rôle. On laisse les chiens « se débrouiller entre eux », ce qui est une vision simpliste et dangereuse des relations canines.

    Alors, les cafés pour chiens : bonne ou mauvaise idée ?

    L’idée n’est pas mauvaise en soi. Elle répond à un vrai besoin social : celui de partager plus d’expériences avec nos chiens, de sortir du schéma « chien enfermé à la maison pendant que l’humain vit sa vie ».

    Mais pour que cela fonctionne, il faudrait que ces espaces soient pensés différemment :

        • Des lieux plus spacieux pour permettre aux chiens de s’éloigner.

        • Des zones séparées pour ceux qui veulent du calme ou qui sont plus fragiles.

        • Une surveillance active par un professionnel capable d’interpréter le langage canin.

        • Une sensibilisation des propriétaires aux signaux d’inconfort de leurs chiens.

      Sans ces conditions, les cafés pour chiens risquent davantage d’être des lieux de stress que des espaces de bien-être.

      Mon choix

      Pour toutes ces raisons, j’ai décidé de ne plus fréquenter de cafés pour chiens. Je préfère offrir à Simone des expériences de qualité : promenades dans les bois, rencontres choisies avec des congénères qu’elle apprécie, activités où elle peut s’exprimer librement et en sécurité.

      Je ne veux pas que mon chien subisse des interactions imposées dans un espace qui ne respecte pas ses besoins fondamentaux. Et je crois que nous, humains, avons une responsabilité : créer des contextes où nos chiens peuvent réellement s’épanouir, pas seulement satisfaire notre envie de camaraderie.

      Conclusion

      Les cafés pour chiens partent d’une bonne intention, mais la réalité est souvent loin du tableau idyllique. Trop petits, mal encadrés, mal compris par les humains, ils deviennent des sources de stress pour nos compagnons.

      En tant que comportementaliste canin, je pense que nous devons repenser ces lieux pour qu’ils répondent vraiment aux besoins des chiens. Sinon, ils resteront des espaces pensés pour les humains, au détriment du bien-être animal, en plus d’aggraver les risques de dérapages et de morsures.

      Et ça, je ne peux le valider.

       

      Sonia Quertenmont, comportementaliste canin
      The Dog Nanny Academy

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